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Haïti-Editorial

Le « Grand E » de l’Etat de droit n’a que faire du 26 avril…

Le silence "complice"

Publié le lundi 29 avril 2013

Le gouvernement Martelly/Lamothe qui affirme vouloir construire un ‘’Etat de droit’’, a raté l’occasion du 50ème anniversaire des violences d’Etat du 26 avril 1963 pour convaincre les plus sceptiques d’entre nous de ses bonnes intentions. Un indice de plus prouvant encore le caractère fictif de cet ‘’Etat de droit’’ désiré dans un contexte de gouvernance sous tutelle étrangère. C’est pourtant une responsabilité d’Etat d’entretenir la mémoire. L’Etat qui se dit démocratique, respectueux des droits et des libertés, a pour responsabilité d’inculquer des valeurs correspondantes. Dans cette perspective, l’Etat démocratique ou qui aspire à devenir tel, ne peut ignorer des pans d’histoire au cours desquels des atrocités et des ignominies ont été commises. La connaissance de ces faits renforce les valeurs démocratiques et, tout aussi bien, la cohésion sociale.

« Never again ! »

Il ne faut plus que certains actes ignobles soient posés. Jamais, plus jamais ! C’est le slogan qui indique la nécessité d’un monde où les hommes transcendent leur animalité pour construire des rapports basés sur le respect mutuel et la défense pacifique, conventionnel et légale des intérêts.

Quand le monde occidental commémore la Shoa, ce n’est certes pas dans un esprit de vengeance. Les rwandais ne vont certainement pas oublier de très tôt le massacre de 1994. Ces événements constituent des références de ce que le monde ne devrait pas être, de ce qu’il ne doit pas être.

Il faut donc questionner le fait que le gouvernement Martelly/Lamothe qui affirme vouloir construire un ‘’Etat de droit’’, ayant en son sein, un ministre soi-disant chargé des droits de l’homme, refuse de délivrer rien qu’un message dans lequel les tristes événements de 1963 seraient rappelés, avec un mot spécial pour les victimes et leurs parents, puis des enseignements tirés pour le présent et l’avenir.

Duvaliériste, nécessairement synonyme de fasciste ?

Le réalisateur Arnold Antonin s’était demandé un jour si un duvaliériste pouvait être un poète. Mais, à regarder l’évolution des membres de ce secteur politique, au pouvoir, et aux abords du pouvoir, on est enclin à se poser bien d’autres questions. Serait-on moins duvaliériste en prenant ses distances par rapport aux crimes de Papa Doc ? Serait-on moins duvaliériste en condamnant le kidnapping et l’assassinat de bébés, de vieillards, de parents et d’amis d’opposants politiques ? Le fait d’être parent d’un opposant politique, i.e. d’un ‘’kamoken’’, implique-t-il ipso facto que je sois son allié politique ou même son complice ? Et même si ce serait le cas, cela justifierait-il que je sois enlevé, emprisonné, torturé, tué ? Le duvaliériste d’aujourd’hui aurait-il intérêt à endosser cet héritage macabre ?

Qui défend réellement l’armée ?

Si le gouvernement Martelly/Lamothe tenait vraiment à construire ce grand E qu’est l’’’Etat de droit’’, il ne serait pas resté aussi silencieux à l’occasion du 50ème anniversaire des violences d’Etat du 26 avril 1963. Ce silence ne peut être interprété que comme un cautionnement de ces actes répressifs. Il est encore plus expressif quand on considère que ce gouvernement vénère l’armée. Mais, de quelle armée veut-il ? Car, ils étaient plus d’une soixantaine de militaires et leurs familles à avoir été massacrés ? En dehors de ceux qui se sont faits fusillés pour avoir abusé des largesses du Maître, la plupart des officiers tués sous la dictature ne jouissaient pas de réputation douteuse. Plusieurs d’entre eux ne faisaient d’ailleurs plus partie de l’institution militaire quand ils ont été appréhendés ou jetés dans les geôles lugubres de Fort-Dimanche.

Réconciliation nationale : vÅ“ux pieux

La réconciliation nationale préconisée par certains, passe nécessairement par la reconnaissance des faits qui ont marqué l’histoire. Elle implique aussi le courage d’aborder et de vider les contentieux. Toutes les parties concernées auront alors à réaliser leur bilan en se questionnant courageusement. Il importe donc qu’ensemble, nous prenions connaissance des faits historiques et que nous parvenions à en tirer des enseignements salutaires. Vouloir ignorer l’histoire, vouloir la réécrire ou s’engouffrer dans le négationnisme, comme viennent de le faire les ‘’petits-fils de Papa Doc’’ évoluant dans un contexte de contrôle direct de l’étranger, ne feront qu’envenimer les contentieux et les rendre encore plus difficiles à résoudre. Et dire qu’ils ont pu librement s’exprimer dans un journal. Ce que les « kamoken » n’ont pas pu faire sous Papa Doc.

Une kyrielle d’actes anti-Etat de droit

Le silence du gouvernement à l’occasion du 26 avril nous amène à passer en revue les nombreux autres faits en contradiction avec la notion d’Etat de droit : la nomination de délégués départementaux, de directeurs généraux et de conseillers électoraux en dehors du conseil des ministres ; l’arrestation d’un député en fonction ; les nominations et transferts illicites dans le système judiciaire ; la manipulation de certains membres du CSPJ ; la libération surprenante et scandaleuse du conseiller présidentiel Calixte Valentin ; le renvoi de maires élus et leur remplacement par des agents exécutifs intérimaires ; l’utilisation de fonds d’urgence sans rendre des comptes au parlement ; la mise à l’écart du parlement, comme pouvoir, dans les grandes initiatives engageant l’Etat, notamment avec l’étranger… Il s’agit là d’une liste non exhaustive de faits qui, ajoutés au silence monumental du gouvernement par rapport au 26 avril, démontrent que le régime « Tèt Kale » par son net penchant pour les méthodes dictatoriales de gouvernance combiné maladroitement à son rôle de commis de l’étranger, est loin d’être qualifié pour instaurer l’Etat de droit qu’il promet.

Marvel Dandin

Liliane Pierre-Paul éléments Aller à la galerie de Liliane Pierre-Paul