L’immunité parlementaire ne doit en aucun cas constituer un facteur d’impunité. Telle que définie, l’immunité dont jouit le parlementaire pendant son mandat le protège contre toute poursuite qui concernerait ses actes et ses prises de position en tant que parlementaire. Tout ce dont il peut être responsable, en dehors de sa fonction, relève du droit ordinaire. Certes, dans le cas d’un parlementaire, il importe que l’évidence soit toujours établie au sujet du caractère et du fondement des poursuites dont il est l’objet. Car, il peut bien s’agir de formules détournées pour le persécuter pour ses prises de position en tant que parlementaire. D’où la nécessité que les bureaux et les assemblées parlementaires s’assurent que les procédures sont rigoureusement respectées.
En aucune façon, cependant, des stratégies ne doivent être arrêtées, en vue de faire systématiquement obstruction ou échec à la justice. L’honorabilité et la toute puissance du Parlement en dépendent. En aucune manière, le Parlement ne saurait être un repère de malfrats intouchables. Il s’agit d’une institution dépositaire d’une partie de la souveraineté populaire et dont la mission est justement de servir le peuple, c’est-à -dire la République.
Quand on analyse à fond l’ordonnance du juge d’instruction dans l’affaire Walky Calixte, on aboutit irrémédiablement à d’inquiétantes interrogations.
Quelle autorité a pu contrecarrer celle du commissaire du gouvernement d’alors (avril 2012) qui avait ordonné que le cadavre d’un des meurtriers du policiers, Junior Thermidor, soit transféré à l’HUEH pour les suites légales ? Touché par balle au moment de l’opération, l’agresseur a rendu l’âme à l’hôpital le même jour que sa victime. Son corps a été délibérément soustrait à la justice et conduit à une morgue privée ? Quelle autorité est intervenue pour que cela se passe ainsi ?
Autre interrogation : qui sont ces individus et ces policiers, auxquels l’ordonnance fait référence, qui auraient versé de l’argent aux parents du bandit tué et qui l’auraient présenté comme un soldat tombé sur le champ de bataille. Quel champ ? Quelle bataille ?
La révélation la plus troublante de l’ordonnance est celle-ci : « L’analyse des téléphones portables des bandits à partir d’un relevé des appels entrants et sortants révèle qu’ils ont été en contact étroit avec les députés Jean-Baptiste N’Zounaya Bellange et Rodriguez Séjour ainsi que le policier attaché à la sécurité du député Bellange Jean-Baptiste ».
Il est également rapporté, dans l’ordonnance, que le député Bellange Jean-Baptiste a pratiquement identifié les auteurs du meurtre sur le policier Calixte : « Le député Jean-Baptiste Bellange N’Zounaya de la 3ème circonscription de Port-au-Prince avait, au cours d’une émission à Télé Eclair, déclaré que le policier Walky Calixte n’a pas été tué par son collègue Rodriguez Séjour mais par des bandits de grand Ravine ».
Autre fait troublant révélé dans l’ordonnance : « Le policier Aubner Versaille, affecté à la sécurité rapprochée du député Jean-Baptiste N’Zounaya Bellange, arrêté et écroué au Pénitencier National pour les besoins de l’instruction, dans sa déposition à la chambre d’instruction criminelle a fait des déclarations qui méritent d’être approfondies […] ; des mensonges et des contradictions étonnants ont été relevés dans les dispositions du député N’Zounaya Bellange et du policer Aubner Versaille affecté à sa sécurité rapprochée ».
Il ressort de tous ces éléments de l’ordonnance que les parlementaires ne devraient pas badiner avec un tel dossier. Mais, pas uniquement les parlementaires. La question interpelle tous les secteurs, si tant est qu’ils soient vraiment intéressés à l’existence et au fonctionnement d’un Parlement au-dessus de tout soupçon, au respect de la Constitution et des Lois, au respect de la vie et des droits humains en général, à l’application dans les limites légales du privilège de l’immunité afin que le troupeau ne soit pas dévoré par ses propres bergers.
Sans préjuger de la culpabilité de qui que ce soit dans cette affaire, il est dans notre intérêt à tous de souhaiter que le Parlement collabore à la manifestation de la vérité et de la justice et que les députés concernés puissent éventuellement en sortir blanchis. Ils y ont donc intérêt, eux aussi. Car, si la justice n’aboutit pas, ils seront éternellement soupçonnés d’implication ou même de responsabilité dans le crime, même quand l’immunité les préserverait aujourd’hui contre d’éventuelles poursuites.
Immunité ne rime pas forcément avec impunité : il importe de le prouver, Messieurs et Dames les parlementaires.