Le dossier du conseil électoral annonce une crise encore plus grave que celles qu’on a connues jusqu’ici. Jamais les 3 pouvoirs ne s’entendront pour mettre sur pied un organisme électoral digne de confiance. C’est plutôt le rapport de force entre les 3 qui déterminera dans quelle direction penchera la balance.
La tentative de certains parlementaires d’introduire des éléments de la société civile au sein de l’organisme électoral demeurera vaine. Elle ne trouvera pas suffisamment d’écho même au parlement. Encore moins au niveau des deux autres pouvoirs. La formation du conseil électoral exclusivement par les 3 pouvoirs, telle que définie dans la Constitution amendée, induit une logique de guerre entre ces derniers. Celui des 3, en l’occurrence l’Exécutif, qui dispose de tous les moyens aura toujours la possibilité de l’emporter. Et, c’est ce à quoi on assiste. « Pòt an fè/Pòt an bwa » auquel il faut ajouter l’esprit de rapine, la corruption, le goût du lucre des politiciens traditionnels, des parlementaires : ils vendent tout ce qu’ils possèdent, mais vraiment tout par les temps qui courent. Feu François Latour dirait qu’il n’y a personne dans la maison.
L’enjeu est d’autant plus de taille aujourd’hui que l’objectif final est la mise en place du conseil électoral permanent. Sa durée d’existence est de 10 ans. Un organisme dont le chef de l’Etat doit s’assurer du contrôle dans le cadre de son projet de briguer un second mandat à l’issue de celui de son successeur, comme il l’a annoncé la semaine dernière lors d’une rencontre avec les Casecs, entre « 2 griyen dan ».
Dans un tel contexte, il ne fait aucun doute que l’organisme électoral qui sera mis en place ne pourra jamais être neutre et crédible. Les scrutins qu’il organisera ne seront jamais honnêtes, crédibles et démocratiques. En conséquence, il y aura toujours des contestations. Et donc on est bien parti pour une longue période d’instabilité chronique.
En réalité, tous les problèmes ne découlent pas du seul fait que le conseil électoral soit constitué par les 3 pouvoirs de l’Etat. Il se situe plutôt dans le fait que, d’abord, il n’existe, dans l’état actuel des choses, qu’un seul pouvoir : l’exécutif. De plus, et l’Exécutif et les deux autres pouvoirs n’ont pas atteint un niveau d’institutionnalisation tel qui eut pu leur permettre de se placer au-dessus de la mêlée par l’adoption de dispositions allant dans le sens de l’intérêt général. On a de préférence affaire à des instances de pouvoir « ti koulout » contrôlées par des bandes, des cliques et, dans le pire des cas, par un caudillo qui exerce droit de vie et de mort sur tout le monde. Les soucis, les vues n’ont absolument rien d’Etat. Tout se ramène aux bas instincts du manger et du boire, à l’enrichissement illicite, à la prédation et au pillage, aux violations et à l’élimination rituelle des adversaires politiques. Il faut les terrasser. Les mettre en déroute et occuper toute la place. Il en découle toutes sortes de mystification et de travers dont la manipulation des masses, la corruption des esprits et des mÅ“urs. Car, il faut justifier l’injustifiable en instaurant un ordre inique et délétère.
L’exclusion du pays (entendez par là l’exclusion de la population) dans la constitution du CEP, au profit des politiciens de la capitale, car les ténors des 3 pouvoirs sont à la capitale, s’inscrit donc dans le cadre de la perpétuation de l’instabilité chronique. La seule stabilité possible, s’il faut donc appliquer la constitution amendée rien que pour ce qui concerne le CEP, ne viendra que d’un système autoritaire et despotique. Car, après ou avant chaque élection, il faudra mater les contestations et réprimer avec la dernière rigueur les actions jugées subversives. Puisqu’il y en aura…
La formule non démocratique de constitution du CEP ouvre la voie à toutes sortes d’imbroglio. Elle laisse également la voie ouverte aux ingérences étrangères. Comme en témoignent les visites impromptues et intempestives de diplomates au parlement et les communiqués tonitruants qui, en quelque sorte, anticipent sur les décisions des instances de pouvoir. Comme dernier cas, on a celui de ce communiqué de l’ambassade US dans lequel la mission diplomatique salue la nomination des 3 représentants du parlement au conseil électoral et, dans le même communiqué, il est demandé aux présidents des 2 chambres de confirmer les nominations.
Dans les jours à venir, pour ne pas dire les heures, on va bien apercevoir la couleur du temps. On n’aura aucun mal à réaliser que le CEP ne pourra pas être indépendant, il sera majoritairement contrôlé par l’Exécutif et les scrutins qu’il organisera, s’il arrive à en organiser, ne seront que des farces. La surprise qui ne devrait surprendre personne sera le maintien ou l’introduction au Conseil électoral d’individus peu recommandables pour une institution qui devrait plutôt être au-dessus de tout soupçon, respectable et respecté.
C’est vraiment dommage qu’il en soit ainsi pour un pays qui a tant besoin d’institutions fortes et crédibles aptes à organiser et à créer la confiance tant à l’intérieur qu’à l’extérieur en sa capacité de s’autogérer et de conduire sa barque à bon port.
La formation du Conseil constitutionnel nous réserve d’autres épisodes trépidants. Ceux qui s’en prenaient à la version initiale de la Constitution de 1987 sous prétexte qu’elle était source d’instabilité auront bien travaillé pour la stabilité. Ils nous renvoient cependant aux dictionnaires afin que nous puissions vérifier si, dans leur jugement, stabilité ne serait pas, tout simplement, synonyme d’instabilité.
Marvel Dandin