Les parties engagées dans les discussions autour du conseil électoral ne cessent de nous rassurer sur leur évolution positive. L’expression constamment utilisée est “avancées significatives”. Ce serait vraiment réjouissant que les négociations avancent. Qu’elles aboutissent au plus vite serait encore mieux. On commencerait alors à voir mieux dans les initiatives à entreprendre dans le meilleur délai afin d’éviter au pays les graves problèmes politiques et institutionnels qui risquent de se produire si les élections pour le renouvellement du tiers du sénat et des collectivités territoriales ne sont pas organisées.
En dépit des “avancées significatives” dans les négociations, certains signes font planer un doute sur les véritables intentions du pouvoir. N’a-t-on pas évoqué l’idée que celui-ci chercherait à faire trainer les discussions, à multiplier les embûches afin d’aboutir au départ d’un second tiers du Sénat et à une prétendue fin de mandat des membres de la 49ème législature d’ici le dernier trimestre 2013 ? En ce sens, les parlementaires impliqués dans les discussions ne devraient-ils pas contraindre l’Exécutif à fixer un deadline pour la fin de celles-ci ? Les mauvaises langues prétendent qu’il existe, en bout de piste, un projet de mise en place d’une assemblée constituante pour l’élaboration d’une nouvelle charte fondamentale, avec les avantages qu’on devine pour l’équipe au pouvoir. « Plan sou plan pou kenbe pouvwa, nan menm tradisyon tout pouvwa yo ki toujou pi mobilize pou kenbe pouvwa olye yo defann peyi. »
Les signes qui portent les observateurs à douter de la bonne volonté de l’Exécutif dans les négociations sont multiples. Nous en avons retenu quelques uns :
1-La demande du report des discussions à janvier 2013 formulée par les membres du bloc majoritaire à la Chambre, Parlementaires pour la Stabilité et le Progrès (PSP). On sait bien que la position de ces derniers, compte tenu de leur plate allégeance à l’Exécutif, ne peut être que celle de celui-ci.
2-La promesse faite aux CASECs et ASECs du renforcement du support du Ministère de l’intérieur à leur endroit incluant la mise éventuelle d’armes à feu à leur disposition, alors que la mission des membres de ces collectivités territoriales ne peut en aucune façon être confondue avec celle de l’ancienne police rurale des FAD’H (les chefs de section de regrettée mémoire). Pourquoi donc faire, comme Préval en son temps, des promesses mirobolantes à des membres de collectivités territoriales dont le mandat a longtemps pris fin et pour lesquels des élections devraient être organisées en urgence ? Paradoxe : le gouvernement qui séduit les CASECs dont le mandat a longtemps expiré est le même qui a justifié le renvoi des maires élus par l’expiration de leur mandat et leur remplacement par des agents exécutifs intérimaires. « Pou kazèk yo, tantasyon ranplase chèf seksyon an te déjà fò. Anpil kote, yo denonse abi yap fè. Kounye a, si ofisyèlman yo pot zam, se la gangrèn nan lopera ».
3-L’attachement de l’exécutif au concept de conseil électoral permanent sous prétexte de respect de la Constitution. Il faut ajouter à cette attitude le mutisme jusqu’ici du pouvoir par rapport à la dernière communication que lui avait transmise le CSPJ sur le choix de ses 3 nouveaux représentants au sein du CEP. La position de l’Exécutif sur ces deux points réfère à une volonté de maintenir le CEP contesté de 6 membres dirigé par Me Josué Pierre Louis. Cette option du pouvoir l’amène à manifester sa solidarité à ce dernier même quand il est impliqué dans un dossier compromettant. Dans tout pays sérieux, qu’il soit fautif ou pas, un gouvernement se garderait de supporter un allié impliqué de près ou de loin dans un dossier tel que celui concernant le fonctionnaire en question. C’est dire que l’enjeu est de taille en ce qui a trait à l’objectif du pouvoir de contrôler le CEP.
Quels sont les facteurs qui pourraient favoriser la réussite de la probable stratégie gouvernementale d’empêcher l’aboutissement des négociations autour du CEP ?
D’abord, la sous-estimation par le secteur parlementaire engagé dans la bataille pour un conseil électoral de transition de la ferme volonté du pouvoir de ne pas y aboutir. Il faudrait donc qu’il se méfie d’une éventuelle stratégie d’enlisement des négociations par l’exécutif. Il ne devrait pas se laisser mener en bateau par des entourloupettes dignes des plus habiles prestidigitateurs. A ce sujet, il faudrait constamment rendre compte au public de l’évolution des discussions, ne pas se laisser prendre au jeu de la discrétion absolue qui peut faciliter de surprenants revirements. Pour éviter que l’un ou l’autre des protagonistes ne fasse mauvais usage de la communication autour des négociations, le médiateur, Religions pour la paix, pourrait en assumer la responsabilité. Il faut que l’opinion publique sache et que, de ce fait, les uns et les autres soient définitivement pris au piège de leurs engagements.
La démobilisation et le manque de cohésion de l’opposition et du secteur démocratique en général (parlementaires, partis, organisations politiques et organisations de la société civile) en lutte pour la tenue d’élections crédibles. Il est plus qu’évident que c’est une minorité de parlementaires qui fait aujourd’hui montre de détermination en vue de la formation d’un conseil électoral crédible. Du côté des partis politiques et des organisations de la société civile il n’y a pas de véritable mobilisation à ce sujet. On a tout de même cru à un réveil quand il s’est agi pour quelques organisations de la société civile de s’opposer à la forfaiture de la bande à Anel Alexis Joseph au CSPJ lors du choix illégal des 3 premiers représentants de l’entité juridique au CEP.
Pour l’opinion publique et la population en général, il n’y a visiblement pas de momentum de la mise sur pied d’un organisme électoral crédible. Les gens ne sont pas du tout sensibilisés à la question. On dirait qu’ils n’entrevoient pas la résolution du problème électoral comme la clé de celle de la crise politique et institutionnelle en général, devant amener à la résolution de la crise économique.
La complicité ou le laxisme de la communauté internationale par rapport aux éventuelles visées anti-démocratiques du pouvoir en place. Maintenant que la communauté internationale s’est installée chez nous depuis 8 ans, on réalise qu’elle ne nous apporte pas la démocratie qu’elle nous avait promise. Du moins, elle ne saurait être plus royaliste que le roi. Si nous ne voulons pas la démocratie, ce n’est pas à elle de nous l’imposer. Voire que certains secteurs de cette communauté internationale ne nous croient pas capables, en tant que peuplade en déficit de chromosomes ou d’en disposer d’une quantité supérieure à la normale, de vivre en démocratie. Nous avons donc ce que nous méritons. Et que l’on cesse d’emmerder le monde qui a déjà tant fait pour cette petite république nègre !
Il est donc grand temps que les haïtiens prennent en main leur destin. La catastrophe qui nous menace est celle de la pérennisation de la crise politique et institutionnelle, de l’instabilité et du chaos institutionnalisés, de la permanence de la dépendance et de la présence étrangère. « Lamizè fenk kare, chomaj fenk kare, ensekirite fenk kare ! ». L’objectif de construire et de renforcer les institutions, notamment le parlement et les pouvoirs locaux, est donc des plus prioritaires si nous voulons résolument et sérieusement envisager le développement et le progrès.
Marvel Dandin